Legs et donations 2022

- 52 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2022 ÉTUDE FAMILLE 12 - Premièremen t , le droit français ne connaît pas de testaments d’ur- gence 16 . En droit comparé, le testament d’urgence est très répandu 17 . L’offre de loi du groupe Carbonnier, s’inspirant visiblement de législations voisines, pro- posait de créer, dans le Code civil, huit articles pour le consacrer 18 . Il s’agit d’un testament oral, dont la validité est exceptionnellement reconnue à condition que le testateur, exposé à un danger imminent de mort, soit dans l’impossibi- lité absolue de disposer de sa succession en recourant à une forme légale du testament. Cela vise, par exemple, l’hypothèse d’une personne mortellement blessée après un accident ou un attentat terroriste. La personne peut alors ex- primer verbalement ses dernières volontés devant des témoins, lesquels les consignent par écrit dans un procès-verbal, signé par les témoins et transmis au procureur de la République. Ce testament oral est alors valable pendant une durée limitée et devient caduc s’il est établi que le testateur a retrouvé par la suite la possibilité de tester dans des formes ordinaires 19 . Ces garanties paraissent raisonnables et ce système pourrait être consacré avec profit en droit français. 13 - Deuxièmement, la question du testament conjonctif , prohibé à l’ar- ticle 968 du Code civil, mérite également d’être débattue. Sur le principe, un tel procédé contrarie le caractère personnel, qui est de l’essence du testament, et perturbe sa libre révocabilité, au moins indirectement 20 . Cela dit, il est vrai qu’il existe visiblement une attente en ce sens dans la pratique, comme en témoigne le contentieux régulier qui existe devant la Cour de cassation sur ce sujet 21 . De plus, cette prohibition, appliquée restrictivement par la jurisprudence 22 , est devenue facile à contourner : ne serait-il pas plus honnête de la renverser quitte à l’encadrer clairement ? Néanmoins, il faut mesurer la complexité du testament conjonctif, qui est un véritable pacte successoral. Dans les systèmes juridiques qui le consacrent, comme le droit allemand 23 – système juridique faisant traditionnellement une large place aux pactes sur succession future –, le procédé est d’ailleurs présenté comme un pacte successoral et non comme un acte de dernière volonté. En droit français, la réception du prétendu testament conjonctif ne semble donc concevable qu’à condition de ne plus l’assimiler au testament et d’en faire un pacte successoral exceptionnellement valable, sur le modèle, par exemple, de la renonciation anticipée à l’action en réduction 24 . 14 - En tout dernier lieu , on peut également se demander si le testament pourrait se moderniser à l’ ère du numérique . Il existe déjà sur internet des sites dédiés à la confection des testaments ( e-testament 25 ) : un internaute peut, en quelques clics et moyennant une somme d’un montant raisonnable, rece- 16 Les articles 981 à 1001 du Code civil visent des formes exceptionnelles de testament qui n’ont pas la même étendue que le testament d’urgence. 17 Par exemple, en droit suisse : C. civ. suisse, art. 506 et s. – En droit autrichien : ABGB, art. 584. – En droit allemand : BGB, art. 2250. 18 Carbonnier, Catala, Saint Affrique et Morin, Des libéralités : une offre de loi : Defrénois 2003, p. 60 (art. 967 à 969). 19 L’article 968-4 prévoit un délai de validité de 6 mois après sa réception par le procureur, si dans l’intervalle le testateur a retrouvé la possibilité de tester dans les formes ordinaires. Ce délai est assez long par rapport au droit suisse, qui prévoit un délai de 14 jours (C. civ. suisse, art. 508). 20 Comme le résume parfaitement Michel Grimaldi, « ou l’on reconnaît à cet engagement une force juridique, et le testament, perdant sa libre révocabilité, se trouve dénaturé : il cesse d’être un acte de dernière volonté. Ou bien l’on n’attribue à cet engagement qu’une simple force morale, et l’atteinte à la révocabilité – qui est diminuée mais non supprimée, puisqu’elle se mesure au degré de conscience morale de chacun – se double du risque d’un manquement impuni à la bonne foi » (Libéralités et partages d’ascendants : Litec, 2000, n° 1394, p. 300-301). 21 Encore faut-il distinguer selon la légitimité de cette demande. D’un côté, dans certaines espèces, il s’agit d’époux (Cass. 1 re civ., 8 mars 2017, n° 16-11.028 : JurisData n° 2017-013718) ou de partenaires (Cass. 1 re civ., 4 juill. 2018, n° 17-22.934 : JurisData n° 2018-011767 ; Dr. famille 2018, comm. 244, note M. Nicod), souvent parents d’enfants communs, qui veulent organiser leur succession ensemble, ce qui peut être légitime. D’un autre côté, il y a aussi des espèces montrant des testaments rédigés par un père et sa fille, elle-même légataire (Cass. 1 re civ., 31 mars 2016, n° 15-17.039 : JurisData n° 2016- 005784 ; Dr. famille 2016, comm. 131, note A. Tani), ce qui ne repose sur aucun motif légitime. 22 M. Nicod, Le formalisme en droit des libéralités : Doctorat et notariat, 2000, n° 126, p. 50. 23 BGB, § 2265 et s. 24 C’est l’option retenue par le 110 e Congrès des notaires qui propose de consacrer cette possibilité en l’encadrant par un formalisme authentique renforcé et en le rendant irrévocable à partir du décès du premier des testateurs. L’exemple du droit allemand montre toutefois que ce pacte successoral est délicat à manier et suppose une rédaction minutieuse des clauses pour encadrer ses effets (qui doivent être retardés au décès du survivant) et sa révocation (qui doit être réduite à des cas exceptionnels). 25 Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités : Lextenso, 8 e éd., 2018, n° 512. 26 JCl. Droit comparé, V° Chine, fasc. 25, n° 96, par B. Jin. voir un projet de testament olographe qu’il pourra réécrire lui-même, pour se conformer aux exigences de l’article 970. Mais la numérisation du testament pourrait-elle aller plus loin ? En effet, à l’époque des réseaux sociaux, un testateur pourrait être tenté d’enre- gistrer une vidéo de lui-même dans laquelle il exprimerait ses dernières volon- tés. Pourrait-on envisager la création d’une forme numérique du testament ? A priori , il y a de fortes objections à ce type d’actes : on pourrait craindre que des tiers parviennent à se saisir de l’enregistrement vidéo et ne le modifient, par des montages informatiques, à leur avantage ; voire que des montages vidéo soient créés de toutes pièces ou réalisés sous la contrainte d’un tiers non visible de l’écran. Il faudrait aussi s’assurer que l’enregistrement vidéo, dans l’esprit du testateur, est définitif et qu’il ne s’agit pas d’un essai ou d’une tentative qu’il aurait oublié d’effacer par mégarde : c’est le problème de la signature des testaments verbaux. Cela étant dit, un testament vidéo n’est peut-être pas in- concevable, au regard de l’emprise que prend le numérique dans notre société. L’exposé des volontés du testateur pourrait d’ailleurs être plus clair à l’oral qu’à l’écrit. De même, l’insanité d’esprit du disposant serait plus aisée à déceler sur une vidéo que sur un testament écrit, rédigé dans la solitude. Dans tous les cas, un tel procédé supposerait que l’enregistrement ait lieu dans un cadre défini par la loi, avec des témoins ou chez un notaire, pouvant attester que le testateur n’a pas subi de pressions extérieures et que l’enregistrement est fiable. D’ailleurs, en droit comparé, si ce genre de testament n’est pas connu dans les systèmes juridiques européens, il en existe une forme assez proche en droit chinois 26 . En effet, le droit chinois autorise depuis longtemps le tes- tament « sur cassette », qui correspond à un enregistrement sonore de ses volontés. Le testateur doit énoncer toutes ses dispositions sur cet enregis- trement en présence d’au moins deux témoins, dont l’identité doit être in- diquée dans l’enregistrement avec la date et le lieu de l’enregistrement. Ensuite, cette cassette est mise sous enveloppe qui est signée par les témoins. 15 - En tout état de cause, si le testament vidéo est faisable, on peut se de- mander s’il est souhaitable. Cette vidéo testamentaire aurait quelque chose de macabre et de cauchemardesque : il faut imaginer le notaire lancer la lecture de la vidéo devant les héritiers, le visage du mort apparaître et déclamer ses volon- tés. L’avenir dira si le législateur autorisera un jour cette éternité numérique, qui serait l’ultime triomphe de la volonté des morts…

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