Legs et donations 2022
- 50 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2022 ÉTUDE FAMILLE remontrance, qui allait permettre aux juges de bloquer toutes les réformes royales, impossibilité de réforme qui allait, moins d’un siècle plus tard, pro- voquer la Révolution française… 2 - Ce testament, capital pour l’Histoire de France, résume bien la problé- matique des dernières volontés. Certes, les notaires voient rarement, de nos jours, venir à l’étude des testateurs désirant léguer des royaumes. Mais le testament de Louis XIV nous rappelle avant tout, que l’être humain, fût-ce le plus puissant, tremble devant la mort et n’accepte pas l’idée que ses sur- vivants puissent défaire ce qu’il a péniblement édifié sa vie durant. Il nous enseigne aussi que la volonté du mort est conflictuelle pour ses survivants, qu’elle est fragile et que les juges et les héritiers peuvent, en l’interprétant, la contourner et la déformer 2 . Aujourd’hui, on constate toujours cette même ambivalence : le testament est une institution qui persiste et qui même s’épanouit dans notre droit successoral, dans ses dernières réformes ; mais parallèlement, le testa- ment est toujours une institution difficile, qui perturbe, en pratique, le fonc- tionnement du droit. Cette étude voudrait revenir sur deux problématiques spécifiques du testament, parmi bien d’autres, et réfléchir aux évolutions législatives qui permettraient de faciliter l’interprétation des testaments et d’améliorer le formalisme testamentaire. 1. L’encadrement de l’interprétation des testaments 3 - Les causes du problème de l’interprétation des testaments ne sont pas, on le sait, uniquement juridiques mais d’abord psychologiques. Le testateur sera souvent troublé par la pensée de la mort, qui l’invite aussi à repenser à son existence passée : les regrets, les remords, la haine peuvent s’inviter dans la confection du testament et nuire à la clarté des termes choisis par le de cujus . Pour ses survivants, le testament portera la volonté d’un mort : qu’il ait été aimé ou détesté, aimable ou détestable, le souvenir du défunt peut perturber l’application du testament auprès des héritiers mais aussi dans l’esprit du juge, chargé de comprendre et de faire respecter les désirs du mort. Ce contexte n’est pas neutre et pèse forcément sur le contentieux 3 . Mais le contentieux de l’interprétation a aussi des causes juridiques, qui tiennent aux choix opérés par le législateur pour l’organiser, des choix qui peuvent être discutés. A. - Les causes juridiques du contentieux de l’interprétation 4 - L’interprétation du testament est réglementée essentiellement par deux articles du Code civil datant de 1804, qui se rejoignent dans la primauté accordée à la recherche de la volonté réelle du testateur. D’une part, l’ar- 2 Sur cette idée, V. C. Bahurel, Les volontés des morts : vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, t. 557, préf. M. Grimaldi : LGDJ, 2014. 3 Il y aurait sans doute un travail de psychologie testamentaire à réaliser sur les annulations de testaments. Lorsque le testateur a été un être particulièrement odieux, le juge est-il davantage enclin à annuler le testament ? Un exemple intéressant en a été donné par un jugement de TGI de la Roche-sur-Yon du 2 mai 1995 (D. 1997, p. 13), annulant le testament d’un père exhérédant ses filles de la quotité disponible, le père ayant abusé sexuellement d’elles. 4 L’article 1002 du Code civil reprend la même règle, dans une formulation voisine. 5 En pays de droit écrit, le testament devait comporter une formule sacramentelle, l’institution d’héritier, pour être valable. L’article 967 du Code civil, dans un souci d’unification du droit français, abroge ce formalisme. Sur l’institution d’héritier tirée du droit romain, V. J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil : Dalloz, 2 e éd., 2010, n° 864 et s. 6 Exemple récent : Cass. 1 re civ., 17 mai 2017, n° 16-17.123 : JurisData n° 2017-009381 ; JCP N 2017, n° 37-38, 1263, note M. Nicod ; Defrénois 2017, 25 : une testatrice laisse trois testaments successifs. Le premier au profit de l’État d’Israël, le deuxième révoquant le premier au profit d’une association et le troisième révoquant le deuxième. Le troisième testament, en révoquant le deuxième, a-t-il redonné vigueur au premier ? Non, d’après l’interprétation de la volonté de la testatrice… 7 Cass. 1 re civ., 13 janv. 2021, n° 19-16.392 : JurisData n° 2021-001072, inédit ; Dr. famille 2021, comm. 42, note M. Nicod. 8 Pour mieux signifier que le testateur révoquait, dans son nouveau testament, le legs universel consenti dans un acte antérieur, les juges citaient le testament en y ajoutant le mot « tous » : « en conséquence, après mon décès, je lui léguerai tous mes biens mobiliers et immobiliers ». ticle 967 invite les juges à interpréter les dispositions testamentaires, sans s’arrêter aux formulations maladroites des testateurs : « Toute personne pourra disposer par testament soit sous le titre d’institution d’héritier, soit sous le titre de legs, soit sous toute autre dénomination propre à mani- fester sa volonté » 4 . Ce texte, qui a une explication historique 5 , favorise une interprétation créatrice, en incitant les juges à partir en quête d’une volonté indécelable. L’article 1036, d’autre part, est souvent à l’origine du contentieux : « Les testaments postérieurs, qui ne révoqueront pas d’une manière expresse les précédents, n’annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nou- velles ou qui seront contraires » . La pluralité de testaments est toujours problématique car on ne peut savoir, s’il n’en a dit mot dans le dernier acte, ce que le testateur pensait de ses précédentes volontés. A-t-il oublié un testament plus ancien ? A-t-il pensé que le nouveau remplaçait l’ancien automatiquement ? A-t-il vraiment cherché à les concilier ? L’article 1036 n’apporte aucune aide concrète au juge qui doit s’aventurer dans des inter- prétations d’équilibriste 6 . Dans un arrêt du 13 janvier 2021 7 , la Cour de cassation a rappelé aux juges du fond qu’interpréter un testament ne les autorise pas à le réécrire. En l’espèce, les juges avaient, dans la motivation de leur arrêt, ajouté un mot au testament pour conforter l’interprétation qu’ils en donnaient, ce qui ne pouvait qu’emporter que la sanction de la Cour de cassation, rappelant « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis » 8 . Ces excès d’interprétation et ce contentieux récurrent ne sont pas satis- faisants. Les choses pourraient être améliorées en posant des directives légales plus strictes pour guider les juges. B. - L’utilité de directives légales plus strictes 5 - L’objectif serait de réduire la tendance à l’interprétation extensive des dispositions testamentaires. Une tournure plus restrictive pourrait être in- sufflée à l’article 967 du Code civil, en orientant les juges vers une interpré- tation littérale du testament, comme ceci, par exemple : « Toute personne pourra disposer par testament, par toute dénomination de nature à mani- fester clairement sa volonté. En cas d’ambiguïté, la volonté réelle du défunt ne peut être recherchée qu’à partir de l’acte lui-même ». 6 - Quant aux articles 1035 et 1036, relatifs à la révocation, ils devraient également être repensés. Concernant le cas délicat des testaments rédi- gés successivement, il semble raisonnable de poser la présomption selon laquelle le testament nouveau révoque les dispositions de l’ancien. Ceci paraît plus conforme à la réalité, dans la mesure où la plus récente expres- sion des volontés du de cujus semble la plus fiable. Par conséquent, s’il ne
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