Legs et donations 2022
- 42 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2022 ÉTUDE FAMILLE s’opposer a la divulgation de ses œuvres inédites, ou bien qu’il souhaite que ses œuvres soient largement diffusées et exploitées auprès de tous publics, ou encore qu’il ne souhaite pas que des tirages de son œuvre dans une autre matière que celle d’origine soient réalisés après sa mort. Ces ins- tructions concernant l’exercice de ces droits moraux comme patrimoniaux seront utiles pour la mise en œuvre et la protection des dernières volontés de l’auteur. 2. Les dernières volontés protégées 18 - Les héritiers, conjoint survivant compris, ne sont pas libres de gérer les droits d’auteur comme ils l’entendent. Ils doivent les exercer raisonna- blement en restant fidèles aux dernières volontés de l’auteur, lesquelles ne sont pas toujours simples à déterminer. A. - Le respect des dernières volontés clairement exprimées 19 - Abus notoire. – L'héritier de l'auteur est tenu à un devoir de fidélité vis-à-vis de ce dernier. L'abus notoire dans l’usage ou le non-usage des droits d'auteur par l'héritier est sanctionné, qu’il s’agisse des droits d’ex- ploitation (CPI, art. L. 122-9) ou des droits moraux (CPI, art. L. 121-3) 35 . Cet abus est caractérisé lorsqu’il trahit la volonté de l’auteur 36 . La preuve de cet abus, qui incombe à celui qui l’invoque 37 , est aisée lorsque l’auteur a exprimé sa volonté de son vivant en laissant des directives claires, qu’elles soient expresses ou tacites 38 . Ainsi, des juges ont retenu l’abus dans le non-usage du droit d’exploita- tion commis par la veuve du peintre Foujita, qui refusait systématiquement d’autoriser la publication en France d’un ouvrage sur l’artiste illustré de re- productions de ses œuvres, alors que celui-ci avait toujours, de son vivant, manifesté sa volonté de voir son œuvre être diffusée et rayonner 39 . A aussi été reconnu abusif l’exercice du droit à la paternité par les héritiers de l’épouse d’Alphonse Daudet, qui avaient entrepris de faire reconnaître sa qualité de coauteur des œuvres de son mari auxquelles elle aurait participé dans le but avoué d’obtenir un allongement de la durée de protection des œuvres de Daudet, et ce, alors même qu’elle n’avait jamais souhaité, même après le décès de celui-ci, se voir reconnaître cette qualité 40 . Est également abusif le refus d’un héritier d’Antonin Artaud de divulguer le dernier tome des œuvres complètes, alors que l’auteur avait cédé à la 35 Si le texte ne vise que le droit de divulgation, son application aux droits à la paternité et au respect de l’œuvre est admise. 36 Cass. 1 re civ., 24 oct. 2000, n° 98-11.796, Antonin Artaud : JurisData n° 2000-006365 ; Dr. famille 2001, comm. 121, note Ch. Alleaume ; D. 2001, p. 918, note Ch. Caron ; RTD com. 2001, p. 94, obs. A. Françon : l’exercice du droit de divulgation post-mortem doit « s’accorder avec la personnalité et la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant ». 37 Cass. 1 re civ., 9 juin 2011, n° 10-13.570, Char : JurisData n° 2011-011942 ; Comm. com. électr. 2011, comm. 75, obs. Ch. Caron ; LEPI, sept. 2011, p. 2, nos obs. ; Propr. intell. 2011, p. 314, obs. J.-M. Bruguière. 38 Il suffit que les juges puissent déduire de la vie et du comportement de l’auteur, de manière non équivoque, quelle aurait été sa position concernant l’utilisation de son œuvre (V. par ex. Cass. 1 re civ., 25 mai 2005, n° 03-20.072, Saint-Exupery : JurisData n° 2005-028532 ; Comm. com. électr., 2005, comm. 108, note Ch. Caron ; Propr. intell. 2005, p. 435, obs. A. Lucas ; RTD com. 2005, p. 727, obs. F. Pollaud-Dulian). 39 CA Rennes, 16 nov. 1990 : RTD com. 1991, p. 594, obs. A. Françon ; RIDA, n° 148, avr. 1991, p. 107, obs. Kérever : « participant a de nombreuses expositions tant en France qu’a l’etranger, donnant son accord a la reproduction de ses œuvres dans des ouvrages […] Foujita tenait incontestablement au rayonnement de son œuvre ». 40 T. civ. Seine, 25 mars 1963 : RIDA 1963, n° 41, p. 157. 41 Cass. 1 re civ., 24 oct. 2000, n° 98-11.796, Antonin Artaud : JurisData n° 2000-006365 ; Dr. famille 2001, comm. 121, note Ch. Alleaume ; D. 2001, p. 918, note Ch. Caron ; RTD com. 2001, p. 94, obs. A. Françon. 42 Cass. 1 re civ., 25 mai 2005, n° 03-20.072, Saint-Exupéry : JurisData n° 2005-028532 ; Comm. com. électr., 2005, comm. 108, note Ch. Caron ; Propr. intell. 2005, p. 435, obs. A. Lucas ; RTD com. 2005, p. 727, obs. F. Pollaud-Dulian. 43 CA Paris, 24 nov. 1992 : RIDA janv. 1993, p. 191. – Confirmant TGI Paris, 20 nov. 1991, Barthes : RIDA janv. 1992, p. 340, obs. A. Kerever ; Légipresse 1992, III, p. 33, obs. E. Derieux. 44 TGI Paris, 1 er dec. 1982, Montherlant : RIDA 1/1983, p. 165, note P.-Y. Gautier. 45 CA Paris, 11 mars 1887 : D. 1888, p. 359. 46 T. civ. Seine, 20 nov. 1956 : RIDA 1957, p. 136. société des éditions Gallimard le droit d’éditer ses œuvres complètes deux ans avant sa mort 41 . À l’inverse, le fils de Consuelo de Saint-Exupéry n’a pas commis d’abus no- toire en refusant de divulguer une sculpture de sa mère dès lors que cette dernière l’avait toujours conservée chez elle et avait refusé de la céder a la ville de Grasse 42 . 20 - Intérêt du public. – Ce dernier exemple montre que la jurisprudence fait prévaloir la volonté de l’auteur clairement exprimée sur l’intérêt du pu- blic à avoir accès aux œuvres. L’affaire Barthes en est une autre illustra- tion. En l’espèce, le frère et héritier de Roland Barthes avait poursuivi en contrefaçon la revue La règle du jeu et son directeur-gérant, Bernard-Henri Lévy, pour la publication sans autorisation des transcriptions d’un extrait de cours que Barthes avait donné au Collège de France. Pour se défendre, ceux-ci invoquaient l’abus dans le non-usage du droit de divulgation et le droit du public à l’accès aux œuvres. L’argument a été rejeté, les juges ayant relevé que Barthes « attachait la plus grande importance a la dis- tinction entre la forme orale et la forme écrite […] et avait plusieurs fois expressément indique qu’il refusait toute publication en l’état et sans réé- laboration de ses cours » 43 . B. - Les dernières volontés incertaines 21 - Enjeu probatoire. – Lorsque les volontés de l’auteur sont restées secrètes ou si elles ont varié, l’abus sera difficile a établir et cela d’autant plus que, selon les articles L. 122-9 et L. 121-3 du Code de la propriété intellectuelle, seul « l’abus notoire » – autrement dit l’infidélité manifeste – peut être sanctionné. L’enjeu se situe alors sur le terrain probatoire. En présence d’intentions de l’auteur trop incertaines, des juges du fond ont pu considérer que le refus de divulguer l’œuvre par l’héritier n’était pas suffisamment fonde 44 , faisant ainsi jouer une présomption de divulgation favorable aux intérêts du public à accéder à des œuvres inédites. Ont ainsi pu être révélées les correspondances entre George Sand et Alfred de Mus- set 45 , ou encore la symphonie de Georges Bizet 46 . Il ne nous apparaît pas choquant que le doute sur la volonté de l’auteur puisse profiter au public. Telle n’est pourtant pas la position de la Cour de cassation qui, en 2011, dans une affaire relative à la publication des correspondances de René Char, a censuré l’arrêt de la cour d’appel qui exigeait du titulaire du droit moral
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