Legs et donations 2022

- 40 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2022 ÉTUDE FAMILLE La gratification d’un tiers peut également s’expliquer par la volonté de l’auteur d’éviter des dévolutions imprévisibles qui peuvent se produire à la seconde génération . En effet, au décès du gratifié personne physique, les droits sur l’œuvre passent dans le patrimoine de ses héritiers ou dans un tout autre patrimoine si le gratifié en a disposé au profit d’un tiers. Une solution peut alors consister à envisager un legs de residuo (C. civ., art. 1058 et s.) qui prévoit que le premier légataire devra, à son décès, transmettre à son tour ce qui reste des biens à un deuxième légataire désigné par le testateur. L’auteur peut ainsi s’assurer que ses droits d’auteur seront transmis à ses petits-en- fants ou à un tiers de confiance. Une autre solution intéressante consiste, pour l’auteur, à léguer ses droits à un tiers personne morale plus apte a les exercer après sa mort. Ainsi, le legs peut être fait a une fondation, une association ou un organisme de gestion collective 12 . Enfin, l’auteur peut désigner un exécuteur testamentaire , membre de sa famille ou non. Ce mécanisme est cependant plus usité a propos du droit moral, le Code de la propriété intellectuelle y faisant expressément référence. 9 - La réserve héréditaire. – La liberté successorale de l’auteur est, comme celle tout autre de cujus , limitée par la réserve héréditaire de ses descendants (C. civ., art. 913 et 913-1) ou de son conjoint survivant en l’absence d’enfant (C. civ., art. 914-1) 13 . En présence d’héritiers réservataires, le legs et la do- nation ne peuvent donc pas porter sur l’intégralité des droits patrimoniaux de l’auteur, qu’il s’agisse du monopole d’exploitation ou du droit de suite, l’auteur ne pouvant disposer que de la quotité disponible 14 . En revanche, l’usufruit spécial du conjoint survivant mis en place par l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle ne constituant pas un droit réservataire, l’auteur peut léguer l’intégralité de son patrimoine artistique a une personne autre que son conjoint ou bien prévoir une disposition testamentaire privant ce dernier du bénéfice de l’usufruit spécial 15 . 10 - Succession internationale. – Cette institution de la réserve héréditaire, ayant un caractère impératif en droit interne, empêche l’exhérédation. En re- vanche, en matière de succession internationale, une loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois qui ignore la réserve héréditaire et permet donc l’exhérédation, ne peut en principe être écartée, la Cour de cassation ayant jugé que la réserve héréditaire ne participe pas de l’ordre public international français 16 . 12 Cette solution présente l’avantage de permettre un exercice conjoint de toutes les prérogatives attachées a l’œuvre, le droit moral pouvant être également confié à cet organisme. 13 Cass. 1 re civ., 22 févr. 1977 : Bull. civ. I, n° 100 ; JCP N 1977, prat. 6728. 14 V. en ce sens, CPI, art. L. 123-7, I, al. 2. 15 Cette liberté laissée à l’auteur peut étonner au regard du droit commun qui a fait du conjoint successible un réservataire en l’absence de descendants. On voit que le législateur n’a pas, en droit d’auteur, suivi cette evolution du droit des successions puisque sur le terrain de l’usufruit special, l’exheredation du conjoint reste possible. 16 Cass. 1 re civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198, Maurice Jarre : JurisData n° 2017-018703. – Cass. 1 re civ., 27 sept. 2017, n° 16-13.151, Michel Colombier : JurisData n° 2017-018698 ; RFP 2018, comm. 2, note G. Michaux et P. Bonduelle ; JCP G 2017, 1236, note C. Nourissat et M. Revillard ; JCP N 2017, n° 45, 1305, note E. Fongaro ; Dr. famille 2017, comm. 230, note M. Nicod ; RTD com. 2018, p. 110, obs. F. Pollaud-Dulian. La seule limite rappelée par la Cour de cassation est l’existence d’« une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », comme par exemple l’etat de besoin d’un enfant. 17 V. Cass. 1 re civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198, Maurice Jarre : JurisData n° 2017-018703. – Cass. 1 re civ., 27 sept. 2017, n° 16-13.151, Michel Colombier : JurisData n° 2017-018698 ; RFP 2018, comm. 2, note G. Michaux et P. Bonduelle ; JCP G 2017, 1236, note C. Nourissat et M. Revillard ; JCP N 2017, n° 45, 1305, note E. Fongaro ; Dr. famille 2017, comm. 230, note M. Nicod ; RTD com. 2018, p. 110, obs. F. Pollaud-Dulian. – CA Versailles, 5 oct. 2018, n° 17/01668, Gala Dali : JurisData n° 2018-017067 ; Propr. intell. 2019, n° 1, p. 45, obs. A. Lucas ; RTD com. 2019, p. 95, obs. F. Pollaud Dulian. 18 Le règlement de l’Union européenne n° 650/2012 du 4 juillet 2012, entré en vigueur le 17 août 2015, prévoit que la loi applicable est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (PE et Conseil UE, règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, art. 21 et cons. 23) ou, dans certains cas, la loi d’un État qui a des liens manifestement plus étroits avec le de cujus (PE et Conseil UE, règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, art. 21, § 2) ou encore celle de sa nationalité s’il l’a choisie par voie testamentaire (PE et Conseil UE, règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, art. 22). 19 TGI Nanterre, ord., 28 mai 2019, n° 18/01502 : JurisData n° 2019-009635 ; JCP N 2019, n° 38, 1278, obs. R. Le Guidec et B. Thomas-David ; Defrénois 2019, n° 39, p. 31, C. Nourissat ; Dr. & patr., oct. 2019, p. 32, O. Lecomte, F. Varin et C. Lecomte. Cette décision ouvrait la voie à l’application de la loi française et au rétablissement des enfants du défunt dans leurs droits de réserve. 20 V. en ce sens, M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins : Dalloz, 4 e éd., 2019, n° 971. 21 Cass. 1 re civ., 28 mai 2015, n° 14-14.506 : JurisData n° 2015-012526 ; Dr. famille 2016, comm. 153, note S. Torricelli-Chrifi ; LEPI sept. 2015, p. 2, nos obs. – V. déjà en ce sens, CA Paris, pôle 5, ch. 2, 26 nov. 2010 : Propr. intell. 2011, p. 90, obs. A. Lucas. – CA Paris, 29 oct. 2014 : Propr. intell. 2015, n° 55, p. 197, obs. A. Lucas. 22 Il convient d’ajouter que la transmission du droit moral par testament suppose également la dévolution de droits patrimoniaux, un legs ne pouvant pas porter sur un droit extrapatrimonial (V. en ce sens, F. Pollaud-Dulian, note ss CA Paris, ch. 4, 31 mars 2004 : RIDA avr. 2004, p. 292). Pour le cas de la succession de Johnny Hallyday comme pour d’autres 17 , on comprend que la bataille judiciaire se soit focalisée sur la « résidence habi- tuelle » du défunt laquelle, en application du règlement de l’Union européenne n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif aux successions internationales, détermine la juridiction compétente et la loi applicable 18 . Pour rappel, il ressortait d’un testament rédigé par Johnny Hallyday en 2014 en Californie et d’autres documents complémentaires que le chanteur avait décidé de faire de son épouse Laeticia et de leurs deux filles les seules bénéficiaires de trusts comprenant tous ses biens, y compris ses droits de propriété littéraire et artistique et d’exclure de sa succession ses deux enfants aînés pourtant réser- vataires selon la loi française. Ces dernières volontés de l’artiste ont été quelque peu bousculées par deux années de procédures judiciaires qui ont abouti à une décision du tribunal de Nanterre retenant que la résidence habituelle du chan- teur était en France 19 , puis, finalement, par l’accord trouvé entre ses enfants aînés et Laeticia Hallyday, largement relayé par les médias. B. - La dévolution volontaire du droit moral 11 - Transmission testamentaire. – Le législateur accorde une place ex- trêmement importante a la volonté de l’auteur pour la gestion post-mortem du droit moral. Celui-ci est en effet le plus a même de choisir la ou les per- sonnes qui assureront la protection intellectuelle de son œuvre. Toutefois, le droit moral étant inaliénable, sa transmission volontaire ne peut s’organiser que par testament. La question s’est posée de savoir si l’expression des dernières volontés est ici soumise aux conditions de forme requises par l’article 970 du Code civil, c’est-à-dire un testament écrit et signé de la main de l’auteur. On peut en effet penser que la nature extrapatrimoniale du droit moral justifierait que le disposant puisse se dispenser de ce for- malisme pour ne retenir que la confiance d’un auteur envers un tiers qu’il estime le mieux à même de défendre son œuvre 20 . La Cour de cassation a toutefois rejeté cet argument 21 . Elle s’en tient à une application stricte du formalisme successoral de droit commun avec pour conséquence que le testament signé par un peintre, mais pas entièrement rédigé de sa main, est nul et conduit à l’irrecevabilité des demandes de l’exécuteur testamen- taire fondées sur le droit moral 22 . 12 - Attributs concernés. – On relèvera que la dévolution successorale de certains attributs du droit moral est limitée. Il en est ainsi du droit de

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