Legs et donations 2022
- 31 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2022 ÉTUDE FAMILLE A. - Le respect du principe et des modalités du don : le rôle des proches 13 - En matière de don post-mortem , seule la volonté du défunt est prise en considération. Les proches ne sont pas pour autant écartés complètement. Pour le don d’organes, ils restent les porte-parole de la volonté du défunt même s’ils ne sont pas, concrètement, assurés de pouvoir la faire valoir. À l’inverse, pour le don de corps, ils sont a priori exclus du processus, mais pourraient peut-être, in fine, faire valoir leur propre volonté. 14 - Don d’organes. – En dépit de l’alourdissement du formalisme, les proches conservent la possibilité de faire valoir le refus éventuellement ex- primé par le défunt de son vivant. Encore faut-il, en pratique, qu’ils soient en mesure de le faire. En effet, le médecin n’a plus désormais l’obligation de s’efforcer à rechercher auprès des proches une éventuelle opposition au don. Il doit simplement informer les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité (CSP, art. 1232- 1, al. 2). Cette disposition interroge alors quant aux proches visés par cette information. S’agit-il simplement de ceux présents à l’hôpital ? De la famille proche ? 12 En tout état de cause, rien ne garantit que celui ayant connaissance du refus soit effectivement informé à temps pour le porter à la connaissance de l’équipe médicale. Sur ce point, l’arrêt Petrova c/ Lettonie, rendu par la CEDH le 24 juin 2014 13 , aurait pu conduire le législateur français à préciser davantage les desti- nataires et les modalités de cette obligation d’information. En effet, dans cet arrêt, la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la CEDH pour un prélèvement réalisé sur une personne majeure décédée, à l’insu et sans information de sa mère. Il est ici reproché au droit letton, qui accordait des droits aux proches, de ne pas préciser suffisamment clairement les obligations des médecins quant à la recherche des proches. Cette solution pourrait donc apparaître en mesure de fragiliser la solution retenue par le législateur français 14 . 15 - Don de corps. – Le choix de donner son corps à la science est un choix personnel qui peut être ressenti de manière particulièrement doulou- reuse pour la famille. Si la démarche altruiste du donneur est généralement comprise, acceptée et respectée par la famille, il n’en demeure pas moins qu’elle prive les proches d’un retour des restes du défunt dans l’intimi- té familiale. En effet, la plupart des établissements bénéficiaires refusent, aujourd’hui encore, de procéder à une restitution des cendres à la famille, quand bien même le défunt aurait exprimé sa volonté en ce sens. Pour la famille, qui doit se contenter de cérémonies du souvenir, ce deuil « sans corps » 15 constitue souvent une épreuve supplémentaire. Sur le plan du droit funéraire, aucun obstacle juridique ne s’oppose pourtant, en fin de processus, à une remise des cendres à la famille 16 . Par ailleurs, on peut se demander si la volonté de la famille ne pourrait pas être prise en considération, en tant que telle, sous le prisme de l’article 8 12 Sur cette interrogation, V. J.-R. Binet, Refus des prélèvements d’organes post mortem : comment l’exprimer ? : JCP N 2016, n° 43-44, 1307. 13 CEDH, 24 juin 2014, n° 4605/05, Petrova c/ Lettonie. 14 J.-R. Binet, Refus des prélèvements d’organes post mortem : comment l’exprimer ? : JCP N 2016, n° 43-44, 1307. 15 J. Bernard et C. Le Grand Sébille, Les morts sans corps, Étude qualitative sur la ritualité funéraire dans le cas des dons de corps à la science, Rapp. final à la Fondation des services funéraires de la Ville de Paris, 30 janv. 2015. 16 Sur cette démonstration, V. B. Gleize, Le don de corps à la science. Aspects juridiques, in Le don du corps à la science : volontés, usages, commémorations, (dir.) J. Bernard et C. Le Grand Sébille : Études sur la mort, 2016/1, n° 149, p. 117. 17 CEDH, 6 juin 2013, n° 38450/05, Sabanchiyeva c/ Russie. 18 Sur ce point, on peut s’étonner que, dans l’article L. 1261-1 du Code de la santé publique, la reprise des principes de l’article 16-1, 1, se fasse de manière imparfaite avec la disparition du terme de décence. de la CEDH qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour européenne a, par exemple, retenu une violation de l’article 8 en cas de refus systématique de restitution aux familles des corps de terroristes alors qu’une appréciation individuelle des situations aurait dû être opérée 17 . La notion de vie familiale pourrait bien, selon nous, fonder de manière per- tinente la remise des cendres aux familles en matière de don de corps. La volonté de la famille trouverait alors une place à côté de celle du défunt. B. - Le respect de la finalité du don : l’encadrement lacunaire du don de corps 16 - Le scandale du don de corps. – L’affaire a fait grand bruit et elle a probablement entaché, pour longtemps, l’institution du don de corps à la science. En novembre 2019, le magazine l’Express révélait que le centre du don des corps de l’université de Paris-Descartes a accueilli, jusqu’en 2018, des milliers de dépouilles dans des conditions indignes : des corps putréfiés, livrés aux rongeurs et empilés les uns sur les autres dans des locaux vétustes. Des corps vendus à des entreprises privées, entiers ou dé- membrés… Des corps monnayés aux professeurs de médecine pour leurs dissections… Le récit est glaçant et l’on songe immédiatement à la dignité de la personne humaine, au respect des restes humains, au principe de non-patrimonialité du corps humain ou encore au pénal, au délit d’atteinte à l’intégrité du cadavre. Au-delà des faits, et de l’effroi qu’ils suscitent, cette affaire a mis en lumière les faiblesses de l’encadrement du don de corps à la science. 17 - Finalité du don de corps. – Ce don est fait « à la science », pour reprendre l’expression communément admise. Si les textes ne reprennent pas cette terminologie, elle est néanmoins sous-jacente dans la désigna- tion du bénéficiaire, à savoir un établissement de santé, de formation ou de recherche. Désormais, le nouvel article L. 1261-1 du Code de la santé publique, issu du projet de loi relatif à la bioéthique, précise d’ailleurs que le don est effectué « à des fins d’enseignement médical et de recherche » . Ainsi, les finalités de l’opération sont limitées à deux hypothèses : scien- tifiques et pédagogiques. Ces finalités doivent nécessairement s’articuler avec le principe du respect des restes humains qui, selon l’article 16-1, 1, doivent être traités avec respect, dignité et décence 18 . Mais, en l’absence de jurisprudence, il reste difficile de dégager des critères d’appréciation de ces principes dans un cadre scientifique. Quelles sont les limites de la décence et de la dignité ? Un acte poursuivant une finalité purement scientifique pourrait-il se révéler indécent ou attentatoire à la dignité ? Si la réponse est a priori négative, un détournement de ces finalités n’est pas exclu. Il suffit de songer à des jeux morbides ou à de possibles dérives en salle de dissection. Par ailleurs, le scandale du don de corps a révélé d’autres interrogations. La finalité scientifique peut-elle se concilier avec des intérêts privés ? L’in-
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