la revue fiscale du patrimoine
77 69. - Marge fiscale limitée : pacte Dutreil et droits de vote du nu-proprié- taire et de l’usufruitier. - Des considérations fiscales, autre problématique phare des transmissions de sociétés familiales, viennent toutefois limiter cette liberté car le dispositif principal permettant d’alléger le montant des droits de mutation à titre gratuit s’accompagne d’obligations strictes en ma- tière de répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire (CGI, art. 787, B, i) . Ce faisant, le législateur a souhaité subordonner le bénéfice de l’abattement de 75 % portant sur l’assiette taxable aux droits de mutation à une réelle transmission du pouvoir décisionnaire au profit des donataires. Dans cette optique, l’article 787 B impose la limitation statutaire des droits de vote de l’usufruitier aux décisions concernant l’affectation des bénéfices. Dès lors, la possibilité de moduler les droits politiques transmis est restreinte lorsque la donation bénéficie du régime fiscal favorable du pacte Dutreil. 70. - Risque d’application indifférenciée et injustifiée de la clause statu- taire cantonnant l’usufruitier au seul droit de voter l’affectation des bé- néfices. - Les dispositions statutaires limitant le droit de vote de l’usufruitier s’appliquent alors, sans distinction, tant aux titres inclus dans l’engagement collectif de conservation qu’à ceux n’en faisant pas partie. Ces contraintes sont néanmoins injustifiées en ce qui concerne les associés ne tirant aucun avantage fiscal de la conclusion du Pacte Dutreil. En conséquence, différents dispositifs permettent au donateur, non bénéficiaire de l’exonération partielle, de retrouver sa liberté quant à l’étendue du droit de vote qu’il entend trans- mettre à l’usufruitier. 71. - Premier remède : multiplication des clés de répartition statutaire des droits de vote. - Le premier dispositif n’est ouvert qu’aux associés dis- posant d’un nombre de voix suffisant pour obtenir la modification des statuts. En effet, la limitation du droit de vote de l’usufruitier imposé dans le cadre d’un pacte Dutreil ne fait pas obstacle à ce que les statuts réservent cette li- mitation aux seuls titres objet du pacte. Ainsi, dans le respect des dispositions statutaires, un ou plusieurs associés pourront, au cours d’une assemblée gé- nérale, faire modifier les statuts afin que la répartition du droit de vote ne soit pas identique pour tous les titres démembrés Note 31 . 72. - Deuxième remède : transfert conventionnel à l’usufruitier du droit de vote du nu-propriétaire. - Par ailleurs, souhaitant sécuriser une pratique préexistante, la loi Mohamed Soilihi a institué à l’article 1844 du Code ci- vil la possibilité pour le nu-propriétaire de transférer conventionnellement à l’usufruitier l’exercice de son droit de vote Note 32 . Depuis l’entrée en vigueur du dispositif le 21 juillet 2019, un associé nu-propriétaire peut ainsi transférer par contrat de mandat Note 33 l’exercice de tout ou partie de ses droits poli- tiques à l’usufruitier, et ce quelle que soit la répartition prévue dans les statuts (C. civ., art. 1844) . À titre d’exemple, ce transfert pourra s’organiser de façon graduelle en commençant par confier au nu-propriétaire le pouvoir de voter les décisions relatives à la modification des statuts, puis dans un second temps le pouvoir de voter les décisions ordinaires comme la nomination du CAC et enfin plus tardivement celui de désigner les dirigeants et leur rémuné- ration. L’établissement d’un tel plan de transmission progressive du pouvoir permettra au repreneur de goûter petit à petit aux joies du pouvoir tandis que l’ascendant consentira tout aussi graduellement à un tel dépouillement. En outre, le donateur aura tout intérêt à faire de la conclusion d’un tel contrat une charge de la donation afin de s’assurer de la signature du nu-propriétaire une fois la donation consentie Note 34 . 73. - Attention au risque d’abus de droit fiscal. - Néanmoins, ne tirons pas de conclusions hâtives sur cette nouvelle opportunité qui ne peut en rien venir aménager le droit de vote de l'usufruitier limité exclusivement à l'affectation des bénéfices lorsqu'a été utilisé l'avantage fiscal issu du Pacte Dutreil. L'abus de droit fiscal serait sûrement caractérisé, au regard du but sinon exclusivement, du moins principalement fiscal du procédé. L'option intermédiaire de transmission progressive des droits de vote de l'entreprise familiale tout en bénéficiant du pacte Dutreil reste alors celle de la transmission de la nue-propriété à hauteur de 49,99 % du capital Note 35 . b) La transmission progressive du pouvoir par le biais des actions de préférence 74. - Actions de préférence. - Ainsi que le prévoit l’article L. 228-11 ali- néa 1er du Code de commerce, « Lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Ces droits sont définis par les statuts et, pour les sociétés dont les actions sont [cotées Note 36 ], dans le respect des articles L. 225-122 à L. 225-125 » . Ces dispositions autorisent à priver l’action de préférence, totalement ou partiellement, de leur droit de vote, ou au contraire, à doter l’action de préférence d’un droit de vote plural, pour peu cependant en ce dernier cas que la société ne soit pas cotée en bourse. Cette liberté statutaire insufflée par la loi peut utilement être mise en œuvre dans le cadre d’une société familiale, en vue d’aménager une transmission progressive du pouvoir des ascendants à leurs descendants. Selon l’objectif recherché, il est alors possible, soit de renforcer, pour un temps au moins, les droits de vote et les droits financiers des actions qui seront conservées par les donateurs , soit au contraire de limiter ou de supprimer temporairement les droits de vote des actions transmises aux donataires . 75. - Actions de préférence sans droit de vote. - Préalablement à la trans- mission envisagée, les associés peuvent ainsi décider de convertir des ac- tions ordinaires en actions de préférence sans droit de vote (en prévoyant, à notre avis, une préférence qui se distingue de la seule suppression du droit de vote). L’article L. 228-11 précise noir sur blanc : « Le droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou déterminable. Il peut être suspendu pour Note 31 BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10. Note 32 L. n° 2019-744, 19 juill. 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés. Note 33 La nature de mandat n'est pas affirmée expressément par la loi mais est l'analyse retenue par l'ensemble de la doctrine à ce jour, ainsi que par la Fédération nationale droit du patrimoine (FNDP). – V. en ce sens, R. Mortier, Maitriser le nouvel exercice conventionnel par l'usufruitier du droit de vote du nu-propriétaire : JCP N 2019, 1288. Note 34 R. Mortier, Maitriser le nouvel exercice conventionnel par l'usufruitier du droit de vote du nu-propriétaire : JCP N 2019, 1288. Note 35 R. Gentilhomme et V. Bloas, Droit des libéralités et gouvernance des entreprises familiales : Defrénois n° 37, 12 sept. 2019. Note 36 L'article précise : « admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation ».
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