la revue fiscale du patrimoine

ENTREPRISE FAMILIALE 76 60. - Enjeux. - Pour les sociétés cotées, certains associés peuvent s’appuyer sur la compétence et les recherches d’agence de conseil en vote ( proxy ad- visors ), lesquelles font l’objet d’une règlementation particulière Note 26 , récem- ment modifiée et complétée par la loi Pacte Note 27 . Cependant, l’associé d’une structure familiale n’échappe pas, quant à lui, à cette difficulté, spécialement accrue par les multiples dimensions de son engagement, par l’appréciation de l’ampleur et de la pertinence des informations communiquées, ainsi que par la gouvernance effective de la structure ( i.e. le niveau de partage et d’échange avec la direction générale relativement aux enjeux stratégiques de l’activité). Prenant appui sur cette réforme, l’associé familial hésitant pourra choisir Note 28 de s’abstenir : il marquera ainsi son doute et manifestera sa vo- lonté de s’échapper d’un devoir de fidélité pouvant paraître Note 29 trop servile. Il devra être entendu, nonobstant l’effet juridiquement nul de son abstention. Au sein de l’entreprise familiale, il importera alors à la direction générale et/ ou aux organes (de gestion, de contrôle ou de surveillance, d’orientation stra- tégique) « intermédiaires » (entre la direction générale et la collectivité des associés), de prendre en considération le sens effectif de cette abstention : un impératif d’amélioration de la communication tant sur les enjeux et les op- tions stratégiques que sur les choix portés par les dirigeants. Pour le dirigeant de l’entreprise familiale, un indicateur de la pertinence de la gouvernance de l’entreprise familiale et du sentiment d’appartenance des associés familiaux pourrait être l’évolution, dans le temps, du nombre d’abstention, et ce à re- bours de sa qualification juridique de voix « non exprimée ». Frédéric JUNG avocat associé Fidal , département droit des sociétés 2° Des outils pour transmettre progressivement le pouvoir 61. - Pouvoir et sentiment d’appartenance. - En ce qu’elle envoie un mes- sage de confiance, la transmission du pouvoir favorise efficacement la par- ticipation des nouveaux associés au processus décisionnel et, par là même, leur sentiment d’appartenance à la société familiale. 62. - Frein psychologique. - L’associé en place peut cependant se montrer réticent à l’idée de transmettre l’ensemble de ses droits politiques dès le jour de la donation. Il peut en effet craindre qu’une modification trop brutale de l’équilibre des pouvoirs établi au sein de la société familiale mette en danger sa pérennité, notamment si la transmission a lieu au profit d’une personne peu expérimentée. 63. - Risque. - S’il ne fait aucun doute qu’une transmission trop rapide des pouvoirs pourrait avoir des conséquences dommageables, il apparaît clai- rement que la distanciation de la nouvelle génération d’associés pourra, à terme, être tout aussi préjudiciable. 64. - Timing. - Dans cette optique de pérennité de la société et de préser- vation de l’équilibre des pouvoirs, une transmission progressive du pouvoir exercé au sein de la société familiale peut être envisagée. L’existence d’une telle période de transition apaisera les craintes du ou des donateur(s) tout en favorisant l’implication du ou des donataire(s). 65. - Modalités. - La transmission progressive pourra être mise en place grâce à différents outils juridiques pouvant d’ailleurs tous être combinés : réserve d'usufruit ; actions de préférence ; SAS offrant une grande liberté d'aménagement de la gouvernance. a) La transmission progressive du pouvoir par le biais d’une réserve d’usufruit 66. - Répartition légale des droits de vote entre nu-propriétaire et usufruitier. - La transmission progressive du droit de vote pourra résulter d’une donation de la nue-propriété des titres de la société familiale. Dans un tel cas de figure, la répartition légale des prérogatives politiques varie en fonction de la forme sociale de la société dont les titres sont transmis. USUFRUITIER NU- PROPRIÉTAIRE Droit de vote dans les SA et SCA (C. com., art. L. 225-110) Vote aux assemblées générales ordinaires Vote aux assemblées générales extraordi- naires Droit de vote dans les SAS, SARL, SNC, SCI et SCS (C. civ., art. 1844) Vote des décisions concernant l’affecta- tion des bénéfices Vote de toutes les décisions sauf celles concernant l’affection des bénéfices 67. - Répartition conventionnelle et limite tirée de l’affectation des bé- néfices. - La répartition légale n’est cependant pas d’ordre public et peut être largement aménagée au sein des statuts de la société (C. com., art. L. 225-110, al. 4. – C. civ., art. 1844, al. 4) . Toutefois, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la définition même du droit d’usufruit, posée à l’article 578 du Code civil, implique nécessairement que l’usufruitier ne puisse être privé de son droit de voter l’affectation des bénéfices Note 30 . Que resterait-il en effet de l’usufruit si le nu-propriétaire se voyait confier le droit de fixer le flux de revenus du bien ? 68. - Marge juridique ample. - Subséquemment, en fonction de la volonté de transmission du donateur et de l’expérience du donataire, les droits poli- tiques attribués à ce dernier évolueront sur un spectre allant d’une absence de droit de vote à un droit de voter toutes les décisions, à l’exception de celles concernant l’affectation des bénéfices. Note 26 V. C. mon. fin., art. L. 544-3 à L. 544-6. L'article L. 544-3 dudit code en donne la définition : « Effectue un service de conseil en vote une personne morale qui analyse, sur une base professionnelle et commerciale, les documents sociaux ou toute autre information concernant des sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, dans le but d'éclairer les décisions de votedes associés de ces sociétéspar la fourniture de recherches et de conseils ou par la formulation de recommandations de vote ». Note 27 L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 198, I, B, 4°. Note 28 « Devine si tu peux, et choisis, si tu l'oses », P. Corneille in Héraclius, 1647. Note 29 « Le devoir : aimer ce que l'on se prescrit à soi-même », J.-W. von Goethe in Sentences en prose, 1870. Note 30 Cass. com., 31 mars 2004, n° 624.

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