la semaine juridique notariale et immobilière

ÉTUDE AFFAIRES 1003 Page 59 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 1 - 8 JANVIER 2021 - © LEXISNEXIS SA 18 - Le paradoxe est que la cour de Paris, tout en reconnaissant que le droit conféré au locataire est un « droit de préférence » 19 , en tire les conséquences propres au droit de préemption. Ainsi, elle en déduit non seulement que le bailleur était en droit de conférer un mandat de vente à un agent immobilier, mais égale- ment de conclure une promesse de vente avec un tiers. Or, cette double démarche démontre qu’à ce stade le bailleur n’a pas seu- lement « envisagé » la vente de l’immeuble loué à usage d’hôtel, mais qu’il est déjà fermement décidé à vendre. Il semble dès lors qu’il y a violation de la loi par fausse interprétation de celle-ci telle qu’elle existe depuis qu’elle a été précisée en 2018. La cour d’appel ne fait pas produire à la norme légale mise en œuvre les effets qui résultent nécessairement de ses termes. 19 - Le processus suggéré par la cour de Paris paraît aller à l’en- contre de ce qu’a voulu le législateur. Il ne s’agit pas de permettre au bailleur, lorsqu’il envisage de vendre, de se livrer à une vaste prospection d’acquéreurs potentiels pour en trouver un au meil- leur prix, mais simplement de recueillir les renseignements né- cessaires pour s’informer du prix de son immeuble sur le marché et d’envisager de le vendre…Ainsi le locataire conserve toutes ses chances : il ne sera pas mis en concurrence avec des tiers décidés à acquérir à tout prix, si la qualité de l’immeuble ou son empla- cement le justifie 20 . 20 - D’autres arguments peuvent être opposés au processus sug- géré par l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Il emporte la déna- turation du « droit de priorité » conféré au locataire. Il le consi- dère comme un droit de préemption. Un acquéreur est trouvé, avec lequel le bailleur conclut un avant-contrat et, si le locataire exerce son droit de priorité, il évincera cet acquéreur. Il préempte le bien. Cette éviction ne sera pas visible. La promesse unilatérale de vente, ou même la vente sous condition suspensive, peut ne rester connue que des seuls intéressés : bailleur, tiers acquéreur et locataire qui « préempte ». Mais dans les faits, il n’est qu’un acquéreur en second : tout se passe en fait comme s’il mettait en œuvre un droit de substitution… raison de l’usage que cette dernière a d’ores et déjà de la chose, ou de l’utilité spécifique que la chose représente pour elle ». 19 La cour de Paris fait ainsi observer au bailleur : « Bien que celui-ci quali- fie de “droit de préemption” le droit consenti par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce au preneur, il s’agit en fait d’un droit de préférence, comme l’a indiqué le jugement entrepris ». Il faut nuancer la critique. En effet, après la parution de la loi de 2014, l’article L. 145-46-1 en cause a pu être présenté comme un droit de préemption et analysé comme un droit original de priorité (V. nos obs. in Code des baux Dalloz 2015 et s.) . Ce n’est qu’après une révision récente que la qualification correcte a été retenue. 20 On a parfois mis en avant le fait que le processus utilisé, à la différence du congé-vente pour le local d’habitation, ne privait pas le locataire s’il ne « préemptait » pas, du droit de rester dans les lieux (V. J. Monéger : RTD com. 2020, p. 59, n° 3) . Mais occuper les lieux en tant que locataire, exposé à divers risques (variations de loyer à la suite d’un déplafonne- ment ; risque d’éviction en cours de bail ou en fin de bail…), et comme propriétaire sont deux situations totalement différentes… 21 - C’est ici qu’apparaît le caractère critiquable du comporte- ment du bailleur : il est en contradiction avec la bonne foi, prin- cipe d’ordre public depuis 2016, qui doit présider à l’exécution des contrats 21 . Avant même de proposer à son locataire de se rendre acquéreur, il s’emploie à rechercher des tiers intéressés, en violation du droit de priorité conférée par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. La jurisprudence de la Cour de cassation inscrite dans un arrêt cardinal de la chambre commerciale du 10 juillet 2017 emporte que la règle de la bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle 22 . Le point ne semble pas avoir été soulevé devant les juges du fond. 22 - La Cour de cassation a sanctionné ce type de comportement enmatière de pacte de préférence. Dans l’affaire objet du pourvoi, après avoir octroyé un pacte de préférence sur deux lots de co- propriété, le promettant avait signé une promesse unilatérale de vente avec un tiers. Arguant de ce que la vente ne pouvait prendre effet qu’à la levée de l’option, prévue après la date d’échéance du pacte, le promettant s’estimait à l’abri de tout reproche. La Cour de cassation ne l’a pas entendu ainsi. Au visa de l’article 1134 du Code civil (alors en vigueur, et devenu l’article 1104), elle a énoncé que « le pacte de préférence implique l’obligation pour le promettant de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien ». C’est ce qu’énonce, depuis la réforme du droit des contrats et obligations en 2016, l’article 1123, alinéa 2 du Code civil : « Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en viola- tion d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la répa- ration du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu » . ATTENTION ➜ La violation du pacte de préférence est donc consommée par la seule signature d’une promesse unilaté- rale de vente 23 . 23 - La solution paraît transposable au « droit de préférence lé- gal » dont bénéficie le locataire en vertu de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. Difficile pour le vendeur et le bénéficiaire de la promesse de prétendre ignorer le principe de préférence accordée au locataire par la loi d’ordre public ! Peut-on dire que le bailleur fait preuve de loyauté lorsqu’il consent à un tiers une pro- 21 On peut aussi parler de « loyauté », qui n’est que l’une des figures de la bonne foi : V. Ph. Brunswick, Le devoir de loyauté : JCP E 2016, 17, 150. 22 Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14.178 : JurisData n° 2007-040143. – I. Andrich, La bonne foi dans le bail commercial, communication Coll. ABCL, Nancy 6 déc. 2019 : Loyers et copr. 2020, dossier 15. 23 Cass. 3 e civ., 6 déc. 2018, n° 17-23.321 : JurisData n° 2018-022038 ; publié au Bulletin ; Defrénois 2019, n° 15, p. 29, note C. Grimaldi ; RTD civ. 2019, p. 126, note P.-Y. Gautier ; RDC 2019, p. 20, note Y.-M. Laithier ; AJDI 2019, p. 560, note F. Cohet.

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