la semaine juridique notariale et immobilière
1003 ÉTUDE AFFAIRES Page 58 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 1 - 8 JANVIER 2021 de congé pour vendre le local d’habitation en application de l’ar- ticle 15-II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. S’il est aussi indiscu- table que regrettable que la formulation de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce est bien moins précise que celle inscrite à l’ar- ticle 10, I, alinéa 1 er de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 11 qui énonce que la notification adressée au locataire doit être « préalable à la conclusion de la vente » 12 , il ne l’est pas moins que le législateur a voulu que le locataire soit informé avant tout autre personne. 12 - Plusieurs commentateurs de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne s’y sont pas trompés. Le législateur a « manifeste- ment voulu » que la notification « intervienne en amont de tout avant-contrat », écrivait au lendemain de la loi M. Dumortier 13 , en ajoutant que cette notification devait être opérée « avant qu’un mandat ne soit consenti à un intermédiaire et que les premières publicités ne soient effectuées ». 13 - Telle est l’interprétation adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt précité du 28 juin 2018. L’attendu est limpide : « Le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente ». La cour de Douai, dans un arrêt du 28 mars 2019, précise, énonçant que « le bailleur ne doit pas attendre une offre d’achat pour informer le preneur de la possibilité qu’il a de se porter acquéreur du local commercial » 14 . 14 - Cette interprétation du texte a fait vivement réagir certains praticiens. Il faudrait donc que le bailleur purge le droit de pré- emption de son locataire avant toute recherche d’un acheteur ! dit l’un 15 , cette analyse est « détachée du réel » car « ce n’est qu’après avoir sondé le marché, en recherchant des éventuels acquéreurs, que le bailleur pourra déterminer la valeur de son immeuble », dit l’autre 16 . Fort logiquement, cet auteur reconnaît au bailleur le droit de signer avec l’acquéreur un avant-contrat sous condition suspensive de l’absence de préemption. C’est là une approche que d’autres considèrent comme possible car elle ne prive pas le loca- taire de son droit de priorité ou de préférence. 15 - Mais ce n’est pas ce que le texte, éclairé par les maigres débats sur la question au Parlement, énonce. Le terme « envisage » vise 11 Dont s’est inspiré l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. 12 Elle est l’une des illustrations des « malfaçons de la loi Pinel », dénoncée par F. Kendérian, Les malfaçons rédactionnelles au sein de la loi Pinel : Loyers et copr. 2020, dossier 20. 13 JCl. Bail à Loyer, fasc. 1455, n° 82. 14 CA Douai, 2 e ch., 2 e sect., 28 mars 2019, n° 17/3524 : JurisData n° 2019- 4785 ; Loyers et copr. 2019, comm. 79, note E. Chavance ; Loyers et copr. 2019, n° 82, note Ph.-H. Brault. 15 Ch.-É. Brault, Évolution et perspectives du droit de préemption légal du locataire : Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 57. 16 In Le droit à honoraires de l’agent immobilier en cas de préemption des murs par un locataire commerçant : Administrer févr. 2019, p. 23. – Il est à noter que l’auteur occupait dans l’affaire sous commentaire, V. Adminis- trer, n° 245, p. 41. l’instant auquel la décision de vendre est prise. Il n’est nullement besoin de rechercher un acquéreur et de conclure avec lui un avant-contrat pour déterminer la valeur de l’immeuble. Il suf- fit en fait d’interroger son notaire, de consulter un ou plusieurs agents immobiliers ou un expert qui, comme en l’espèce, pour les besoins de l’évaluation, pourront visiter l’immeuble et utiliser les renseignements fournis par les bases de données. En l’occurrence, la bailleresse l’avait bien compris et avait recueilli des « avis de va- leur » avant toute mise en vente. On ne peut lui reprocher d’avoir « entamé des démarches » selon la formule utilisée par la cour de Paris. En fait, ce qui ne semble pas répondre à l’exigence expri- mée dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018, tient à ce qu’elle est allée beaucoup plus loin ou beaucoup trop vite en sautant l’étape essentielle visée à l’article L. 145-46-1. Elle a signé un mandat de vente à une agence immobilière le 3 mars 2018 17 , puis une promesse unilatérale de vente le 9 novembre 2018, après avoir notifié une offre de vente le 19 octobre 2018. ATTENTION ➜ La notification de l’offre de vente n’est intervenue que 7 mois après le début du processus de commercialisa- tion, alors que l’intention de vendre, matérialisée par la re- cherche et l’obtention d’avis de valeur, aurait dû être suivie, sans autre démarche, d’une offre de vente au locataire, pour être pleinement fidèle à la lettre de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. 16 - En avalisant la procédure suivie par la bailleresse, la cour d’appel de Paris ne semble pas seulement en opposition avec la lettre de ce texte : elle ignore également son esprit. B. - Une décision contraire à l’esprit de la loi 17 - « Le droit de priorité du locataire, accordé par l’article L. 145- 46-1 du Code de commerce, n’est pas, rappelle M me Corinne Saint-Alary-Houin, un droit de préemption, c’est-à-dire le droit d’éviction d’un tiers par substitution, mais un droit de préférence légal inspiré des droits de préférence conventionnels qui se ren- contraient fréquemment dans les contrats de baux. » Ce qu’a vou- lu le législateur, c’est que le locataire soit le premier acquéreur po- tentiel sollicité dès que le propriétaire envisage de vendre le local dans lequel il exploite son fonds de commerce. Il en résulte, selon cette auteure, que « le propriétaire doit d’abord adresser son offre de vente au locataire avant de rechercher un tiers acquéreur » 18 . 17 V. n° 3. 18 C. Saint-Alary-Houin : Dict. perm. Gestion immobilière, Bull., sept. 2018, p. 2. – L’octroi d’un tel « droit de priorité » est un phénomène beaucoup plus général ; V. H. Bosse-Platière et B. Travely, Les droits de préemption sont morts, vive le droit de priorité ! : Defrénois 2017, n° 28, p. 22. Ce droit est accordé « à raison des utilités qu’un bien peut avoir pour une per- sonne donnée auquel le législateur reconnaît un intérêt particulier… en
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